Par Julie Vidal
Chargée de mission Inventaire du patrimoine culturel du Pays de Vence
SIVOM du Pays de Vence
Les aménagements hydrauliques visibles aujourd’hui sur le territoire communal de Gattières témoignent de la présence d’un réseau d’eau d’importance, fait relativement rare s’il est comparé aux communes limitrophes.
Quatre sources principales traversent et alimentent le territoire d’Est en Ouest, sans compter l’important fleuve Var qui marque la limite orientale de la commune.
Leur gestion a toujours été au centre des préoccupations communales, mais aussi l’objet de nombreux litiges entre les usagers. Le plus ancien conflit connu remonte à la fin du Moyen Age lorsque plusieurs accords sont adoptés entre le seigneur de Gattières et la communauté en 1483, 1503 et 1516, avant de déboucher sur une sentence arbitrale signée le 25 avril 1518. Celle-ci pose les bases juridiques de l’usage de l’eau à Gattières :
« Les sources sont la propriété partagée de la commune et du seigneur de Gattières. L’eau des sources est réservée aux moulins en hiver et peut être utilisée par la communauté en été, du 15 mai au 15 octobre, pour l’arrosage. La source de Saint-Martin fait exception puisqu’elle est dédiée à la consommation des habitants, à condition d’être acheminée au village à frais payés, ainsi qu’à l’alimentation de deux abreuvoirs pour les bestiaux. Il est interdit de détourner les eaux des canaux ». Cette décision est depuis régulièrement invoquée en cas de litiges. De ce fait, une importante documentation, conservée aux archives départementales, s’est étoffée au cours du temps. Elle atteste de l’importance de cette ressource pour l’alimentation quotidienne des Gattiérois, pour l’irrigation des cultures et pour le fonctionnement d’aménagements utiles à la vie quotidienne et à l’économie rurale. Les installations effectuées pour l’usage de ces eaux ont évolué au fil des siècles et témoignent des besoins et des progrès que la commune a connu.
Les sources et leurs aménagements
1. Les sources de Saint-Martin et du Pré
Ces deux sources sont captées au nord du village et se rejoignent sur le canal Saint-Martin acheminant l’eau jusqu’au bourg. Celle de Saint-Martin émerge à 1 500 mètres environ au nord-ouest, celle du Pré, à environ 500 mètres à l’ouest du village. Jusqu’au 19e siècle, le canal n’alimentait pas directement le bourg mais s’arrêterait au nord de celui-ci (au niveau de l’actuel cimetière) où il alimentait la fontaine de la Gorgue (disparue).
Carte postale datée de 1953 figurant la fontaine principale et la petite fontaine à l’arrière, place Désiré Féraud
En 1820, la source de Saint-Martin « dont l’eau est reconnue être la meilleure et la plus limpide » est acheminée jusqu’au coeur du village, grâce à la construction d’une canalisation en terre cuite alimentant une fontaine publique monumentale. Dessinée par l’architecte Etienne Goby, cette fontaine ornée est installée au centre de la place Désiré Féraud en 1822 et fait écho à celle de la Basse-fontaine de Vence, réalisée par le même architecte.
Une deuxième fontaine avec abreuvoirs complète cette installation depuis 1915. La surverse* des deux édicules* est utilisée pour l’arrosage des jardins potagers et autrefois des terrains de vignes, situés en contrebas du bourg, grâce à l’aménagement de canaux dédiés. Ceux-ci sont en ciment, couverts ou non. On les trouve le long des rues et des chemins piétons.
À l’Est du village, plusieurs galeries ont été aménagées sous les terrasses des jardins. L’eau sort au niveau d’une ouverture aménagée dans les murs de soutènement en pierres sèches et rejoint un canal qui longe le chemin jusqu’au vallon de l’Entrouos, au sud du village.
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L’arrivée de l’eau dans le village a également permis d’y faire construire un lavoir en 1825, au quartier du Puy, évitant aux lavandières d’avoir à se rendre systématiquement au quartier de la Fontaine pour les lessives. Ce lavoir, de taille très modeste, est détruit au début du 20e siècle, puis reconstruit quelques mètres plus loin en 1930 à la demande des habitants.
Dans le village, on trouvait autrefois quatre bornes fontaines : rue de l’Ancien Four, rue du Château, rue de la Place et rue des Ormeaux. Elles ont été installées en 1907, à l’époque où l’intégralité des canalisations ont été refaites en fonte, puis supprimées à la fin du 20e siècle car elles gênaient la voirie et n’étaient plus indispensables depuis l’arrivée de l’eau courante dans les habitations.
À l’extérieur du village, le canal Saint-Martin a été étendu pour alimenter en eau d’autres édicules au fil du temps. En 1895, la borne fontaine du Pré, qui tire son nom de la source éponyme, est installée à proximité du rond-point marquant l’entrée du village. En 1927, le canal est prolongé jusqu’au quartier des Serres, situé à environ 300 mètres au sud du bourg, qui s’est récemment développé à la suite de la construction de la route nationale reliant Carros à Vence, et qui nécessite d’être desservie en eau potable.
- La source de la Fontaine
Le quartier des Fontaines, situé à environ 400 mètres au sud-est du village, tient son nom d’une source majeure pour l’approvisionnement en eau de la commune. Autrefois, le chemin qui permettait de rejoindre Nice depuis Gattières passait devant la fontaine « dite de la Font », indiquée sur plusieurs cartes du 18e siècle, ce qui témoigne de son importance.
Cette source a deux points d’émergence : celui au niveau supérieur alimente un lavoir public construit en 1808 et arrose un périmètre de 6 à 7 hectares comprenant des jardins potagers ; celui au niveau inférieur permet d’irriguer environ 25 hectares de terrain via le canal de Fuonluegno (« vallon humide » en provençal) qui se dirige vers le sud, et celui de l’Abéou (du verbe provençal « abéourar » signifiant « abreuver », « mener à l’abreuvoir », « arroser ») qui va vers l’est.
Le canal de l’Abéou dessert également cinq moulins hydrauliques, régulièrement mentionnés dans les archives depuis l’Epoque Moderne. Certains existaient probablement déjà au 16e siècle puisque la sentence arbitrale de 1518 concerne en partie leur alimentation en eau.
Le premier, appelé « moulin de la Font » ou « moulin de la Fontaine », était un moulin à huile privé encore en activité il y a une soixantaine d’années d’après les témoignages oraux, depuis réhabilité en maison.
Les deux suivants, autrefois propriétés de la commune, se situent le long du chemin des Moulins Supérieur. L’un apparaît dans les archives sous différentes appellations, parfois « Pressa » ou
« Piessa », plus tard, le « moulin du Cairanq ». Dédié à la fabrication de l’huile d’olive, il est reconstruit en 1808, comme le confirme les sources et la date portée sur la clé de l’arc de l’entrée du bâtiment (récemment rénovée). De l’autre côté du chemin, en contrebas, le moulin de l’Abéou a donné son nom au canal qui l’alimente et au quartier où il se situe. C’est peut-être celui-ci qui était utilisé pour la ressence*. Ces deux moulins ont été transformés en bâtiments d’habitation.
Enfin, les deux moulins les plus bas, autrefois appelés « moulins de la Serre », se situent au quartier des Moulins. Le premier était réservé à la fabrication de la farine, le second à celle de l’huile d’olive. Ils sont aujourd’hui dans un état de ruine très avancé. Un canal d’irrigation leur est spécialement réservé, « le canal du moulin », alimenté par plusieurs sources, dont celle de la Fontaine, celle du Caroubier et par l’eau du vallon de l’Entrouos. Ce canal desservait un grand réservoir d’une superficie de 780 mètres carrés (aujourd’hui comblé et aménagé en jardin) afin de stocker l’eau pour garantir une production continue.
- Les sources de Font d’Eyrard, du Caroubier et de la Fontette
Les sources de Font d’Eyrard et du Caroubier émergent en plusieurs points et se rejoignent à environ un kilomètre au nord du village entre la route nationale de Gattières à Carros et la route de Gattières à la Manda. Le périmètre d’irrigation de ces sources est d’environ 50 hectares. Le canal du Caroubier est le plus étendu du territoire, atteignant 2 080 mètres de longueur. Il rejoint la source de la Fontette qui émerge à environ 400 mètres au nord-est du village. Le canal poursuit son chemin jusqu’au vallon de l’Entrouos où il rencontre celui de l’Abéou. Autrefois, il irriguait les terres agricoles de toute la partie nord et est de la commune, à l’époque plantées de vignes, d’oliviers, d’arbres fruitiers, puis de fleurs. Quelques tronçons sont en pierres calcaires (quartier des Condamines et des Conques par exemple), plus rarement ce sont de simples rigoles creusées en terre battue. Depuis 1933, la plupart sont cependant en ciment grâce à un chantier de rénovation mené par la commune qui concerna la quasi-totalité des canaux, dans l’objectif de limiter les déperditions d’eau et de mieux gérer leur débit.
- Le fleuve Var
Avant d’être franchi par des ponts, ce fleuve a pendant longtemps été traversé au gué situé à proximité de la chapelle Notre-Dame-du-Var, passage qui explique peut-être l’origine du nom de la commune. Ce vaste cours d’eau a toujours eu une importance stratégique et constituait une frontière naturelle avec Nice. En raison des crues et des inondations fréquentes, les rives du Var n’étaient pas habitées ou exploitées. À partir de la seconde moitié du 18e siècle, les Sardes décident d’exploiter cette basse vallée au haut potentiel agricole. La construction d’une digue en rive gauche est initiée à compter de 1762, poursuivie et améliorée en 1845. Pour la rive droite, il faut attendre le 19e siècle pour que le projet se mette en place. Le 18 mai 1861, un éboulement au niveau de la chapelle Notre- Dame-du-Var incite quelques gattiérois à se mobiliser pour mettre en place ce projet par leurs propres moyens. C’est ainsi qu’est créée une association syndicale regroupant les 57 propriétaires riverains du fleuve en 1871. L’endiguement du tronçon du fleuve limitrophe de la commune de Gattières est achevé en 1911 et a permis de récupérer 90 hectares de terres sur le lit majeur du fleuve. Entre 1913 et 1922, le colmatage* des sols est effectué pour permettre le dépôt d’alluvions fertiles sur ces terrains avant leur mise en culture. Cela a permis de créer des conditions exceptionnelles pour cultiver les sols, encore largement exploités aujourd’hui. Maraichages, pépinières et vergers s’y sont développés depuis cette époque.
Dans un petit encart :
Glossaire
Colmatage : phénomène par lequel un système poreux ou filtrant se retrouve obstrué, bouché, jointés, empêchant le passage du fluide qui pouvait le traverser (dans le cas présent, l’eau du fleuve Var).
Edicule : petite construction sans espace habitable.
Ressence : huile obtenue par la presse du marc d’olives déjà pressées, dédiée à la fabrication de produits non alimentaires (savons, bougies).
Surverse : écoulement de l’eau par débordement.